Jean Jacques Rettig
Le Regionalisme Des Annees 70.
Le Rhin Superieur: une Région-Phare du Mouvement Ecologique
Mesdames, Messieurs, Chers Amis,
Vos parents et vous-mêmes avez sûrement souffert. On vous
a souvent pris vos repères, vos frontières. On Vous a
imposé d'autres. A nouveau, depuis quelques années, un
autre monde, avec d'autres valeurs, se construit pour vous. Le risque
est grand, pour nous tous, de vivre les choses en adolescents, de penser
que nous sommes uniques, que notre malheur, notre bonheur, que l'injustice
subie, que les nouveaux slogans proposés (ou imposés)
sont uniques. Or l'unique se retrouve ailleurs, même si nous ne
le savons pas. Et dans le monde entier, des individus et des groupes
avides de pouvoir et de profit, cherchent à maintenir les populations
dans un état d'adolescence, tout au long de leur vie, pour mieux
réussir à les manipuler.
Je viens d'Alsace. Pour le moment, je suis donc citoyen français.
Ma région est très belle; elle est riche matériellement
et culturellement (encore). Mais son histoire a très mal commencé.
En cela elle pourrait être la soeur de la Galicie. Charlemagne
avait trois petits-fils qui se partagèrent son empire. Louis
le Germanique eut l'Est, Charles le Chauve l'Ouest et Lothaire la longue
bande du milieu qui allait du Schleswig-Holstein jusqu'à Naples.
Charles et Louis signèrent le SERMENT DE STRASBOURG en 842 (Non-aggression
et assistence mutuelle: cela fait penser à Hitler et Staline!)
... et bouffèrent" peu à peu le royaume de leur frère
Lothaire. L'Alsace fut incorporée à la Germanie. Plus
tard, Louis XIV., Roi de France rêvant de gloire, voulut des frontières
plus droites et plus naturelles". Il conquit donc l'Alsace et constata,
du haut du Col de Saverne: Quel beau jardin!" En 1870-71, notre
Région fut reprise militairement par les Allemands, en 1918 par
les Français, en 1939 par les Allemands, en 1945 par les Français...
et en 1970 par l'industrie nucléaire.
Que vient faire ma petite famille dans les tourbillons de ce mic-mac
géopolitico - militaro - idéologico - hypocrito - parano
- - - et si peu humano - veridique?
Mon grand-père Emile était sculpteur sur pierre, protestant
de confession et avait ses meilleurs amis parmi les moines Capucins
du monastère catholique d'en face. Très souvent il prenait
l'un ou l'autre comme modèle pour ses scultpures réalisées
sur les cathédrales de Dresden, Meissen, Strasbourg, Zürich,
Berne... Sa belle-soeur avait épousé un Badois (Allemand)
immigré après 1870. En 1918, elle dut partir avec lui
en Allemagne. Le grand-père Emile est mort dans l'Ouest de la
France, où il s'est réfugié devant l'avancée
de la WEHRMACHT allemande, en 1939. L'autre grand-père, encore
un Emile, ferblantier de son état, savait faire de tout et de
rien des jouets pour ses enfants et leur expliquait le monde en inventant
des histoires, des contes, et en se baladant avec eux le long de la
rivière. D'origine protestante, il avait sons entrée chez
le rabbin, le curé el le pasteur du village. A cette époque,
ce n'était pas rien.
Mon père, né en 1896, de prénom également
Emile, est devenu très tôt un internationaliste. Enrôlé
malgré lui comme soldat allemand , durant la première
guerre mondiale, il a été blessé par une balle
russe, en 1917, et c'est l'état français qui lui a versé
une pension d'invalidité partielle jusqu'à sa mort, à
l'âge de 90 ans. Bel exemple d'universalité! Très
tôt il a compris que les intérêts de certains puissants,
dont par exemple les magnats de l'industrie de l'armement, étaient
transnationaux, donc transfrontaliers. Au fond de sa tombe, sa balle,
ce petit bout de métal logé à 2cm du coeur, dans
le corps en train de retourner à la poussière, nous interpelle
profondément - - - et avec malice. Dans ma famille, on préférait
être français, mais on voulait pouvoir parler l'alsacien
et garder notre culture propre, à mi-chemin entre l'Allemagne
et la France. Durant cette époque totalitaire, nous faisions
toujours nettement la différence entre l'Allemand et le Nazi.
Ma mère Frédérique, née en 1901, n'a fréquenté
l'école que jusqu'à 14 ans. Elle était dotée
d'une volonté terrible et d'une puissance d'action remarquable.
Mue par un élan humanitaire, elle a obtenu des Nazis l'autorisation
de faire chaque jour la cuisine à une soixantaine de prisonniers
politiques du camp de SCHIRMECK, qui travaillaient le long de la voie
ferrée, durant les années 1943-44. C'était l'occasion,
évidemment en cachette, de les mettre en relation avec leurs
familles, de les fournir en médicaments et en nourriture supplémentaire
et, avec l'aide de certains passeurs, d'organiser des évasions.
J'ai vécu mes premières années dans cette ambiance
de résistance, de tension souvent extrême et de danger,
tout en ignorant, à l'époque, une partie des activités
de ma mère et de mon oncle.
Mon frère Pierre (fini avec les Emile!) allait au lycée
à Strasbourg. En 1943, alors qu'il avait 15 ans, la GESTAPO allemande
est venue chercher tous les garçons de la classe pour les emmener
en Allemagne et les enrôler dans l'artillerie anti-aérienne.
Mon frère devint pointeur et, comme beaucoup de camarades alsaciens,
faisait éclater les obus avant qu'ils ne puissent atteindre l'avion
anglais ou américain ou canadien. A l'heure actuelle, il porte
encore quatre cicatrices aux mollets et aux cuisses provenant des piqûres
intramusculaires qu'il s'était faites avec sa propre salive,
durant les derniers mois de la guerre, afin de devoir être opéré
et de ne plus participer à la folie meurtrière.
Je remercie tous les membres de ma famille de m'avoir appris, par leur
exemple, à dire NON à l'inacceptable, à l'inhumain,
à l'injustice. Je les remercie d'avoir cultivé l'esprit
critique en même temps que l'esprit de tolérance. Je les
remercie de nous avoir appris à réfléchir par nous-mêmes
et d'être extrêmement prudents avant de formuler des conclusions.
Je les remercie de nous avoir montré le chemin pour faire éclater
les frontières entre les humains, non seulement celles, rigides,
des Etats, mais aussi celles de la pensées et du coeur.
Souvent les Etats se trompent au sujet des populations - - - ou veulent
se tromper, parce que ça les arrange. Ainsi, chez nous en Alsace,
sous Hitler, il était défendu de parler ou de chanter
en français, sous peine d'emprisonnement. Tous les livres français
furent ramassés et passèrent au pilon. Mais quand, en
1945, l'Alsace redevint française, le Gouvernement central parisien
exerça également une pression certaine sur les Alsaciens
pour qu'il abandonnent leur dialecte. On vit fleurir, dans tous les
lieux publics et dans les bus, des pancartes disant C'EST CHIC DE PARLER
FRANÇAIS, alors que dans les écoles il était strictement
interdit de parler l'alsacien, même dans la cour. L'héritage
culturel germanique devait disparaître. L'Etat jacobin français
a mis jusqu'en 1990-91 pour comprendre qu'un vrai bilinguisme en Alsace
était un atout non seulement culturel mais également commercial
et économique pour le pays.
Autre exemple d'incompréhension: Après la guerre de 1939-45
l'Etat français classa mes parents et ma famille en général
dans la catégorie des patriotes, c'est-à-dire dans le
sens nationaliste inconditionnel, vu leur attitude et leurs agissements
antinazis. Aussi, au moment où je fus appelé à
participer à la guerre d'Algérie, pendant 25 mois, de
1960 à 1962, me versa-t-on dans un service de renseignement (espionnage
téléphonique et censure de la Presse) étant donné
que les Rettig servaient la France à n'importe quel prix.
Or, les Grosses Têtes dirigeantes s'étaient trompées.
Mes parents et mon frère avaient agi par réflexion personnelle,
humanisme et antitotalitarisme et non pas au nom d'un nationalisme bêlant
et obtus. Ainsi, en Algérie, je me suis vu obligé de saboter
mon travail par ma réflexion et mes choix, j'ai laissé
passer beaucoup d'informations que normalement il fallait censurer,
et je n'ai pas signalé les fellaghas, les soldats de libération
de l'Algérie, que j'avais repérés par les écoutes
téléphoniques. Je ne signalais que les préparatifs
directs d'attentats. Des choix pas toujours faciles. Mes motivations
étaient les mêmes que celles de mes parents et de mon frère.
Ainsi le plus grand handicap, pour un Etat malhonnête, aventurier,
colonialiste, opportuniste, belliqueux, fasciste, à tendance
totalitaire ou antidémocratique, etc - - - - -(Ce n'est qu'une
liste d'exemples, car la France n'était pas tout cela à
la fois), c'est la non-adhésion passive et active de sa propre
population.
Venons-en plus précisément aux thèmes annoncés
dans le titre de mon exposé: le régionalisme et le mouvement
écologique. Je tenais simplement à montrer, dans un premier
temps, que les joies, les peines, les actions, les réactions
humaines ne sont pas des éléments isolés dans l'espace
et le temps. L'Alsace et la Galicie sont plus soeurs qu'éventuellement
vous ne le soupçonniez. L'attitude de vos parents, de notre entourage
nous conditionne, nous façonne plus que nous ne le pensons. Tout
est maillon d'une chaîne, d'une interaction. Il est bon de s'en
rappeler. J'aimerais insister sur le fait que très souvent les
populations ont été induites en erreur (regardez le drame
yougoslave ou bosniaque!), trompées, excitées les unes
contre les autres, alors qu'elles avaient et ont toujours intérêt
à se rencontrer, à apprendre la langue de l'autre, à
se parler, à coopérer, à s'entraider, à
se respecter dans leurs particularités.
Je ne citerai que deux exemples de ces fausses valeurs qui ont fait
couler tellement de sang et généré tellement de
malheur: L'HONNEUR NATIONAL et L'ENNEMI HÉRÉDITAIRE. Au
19e et dans la première moitié du 20e siècle, les
intellectuels, les politiques, les militaires et même les industriels
en ont usé et abusé. Qu'un sang impur abreuve nos sillons",
lançait la France dans son hymne national. Et Deutschland über
alles", annonçait l'Allemagne. Et la petite Alsace se trouvait
entre les deux, comme entre deux parents divorcés qui s'arrachent
leurs enfants.
Mille bon sang de sabord, n'étiez-vous pas fichus de voir plus
loin que votre front borné?! Ne pouviez-vous pas vous défaire
de vos idées étriquées et meurtières?! De
Gaulle voulait une Europe de l'Atlantique à l'Oural". Avec
Adenauer il travailla à la réconcilation de l'Allemagne
et de la France. Et puis il y avait l'ennemi commun, l'Union Soviétique,
contre qui il fallait serrer les coudes. Mais la base, les deux populations
se rencontraient elles? S'apprivoisaient-elles? Faisaient-elles des
choses en commun, spontanément, en dehors de la surveillance
et du cadre officiels? Prenaient-elles leur destin de voisins en main?
La réponse est malheureusement négative.
Il y eut Mai 68" qui déferla sur l'Europe de l'Ouest, avec
ses maladresses certes, mais aussi avec ses questions vitales, sa notion
de participacion, de critique de l'autorité pure et dure, de
paternalisme, de l'exploitation des travailleurs, de l'idéal
de vie que nous proposait la société industrielle du capitalisme
libéral à outrance. Les Jeunes et beaucoup de moins Jeunes
se mirent à rêver d'une révolution humaniste. De
Gaulle, après beaucoup d'hésitation, alla à Baden-Baden
s'assurer de l'appui de Général Massu, chef des armées
françaises stationnées en Allemagne. Le Parti Communiste
français, et son syndicat la CGT, eurent peur de se faire dépasser
sur leur aile gauche et composèrent avec le Gouvernement. Mai
68" avait vécu... et l'on se remit au travail.
Pourtant la dimension politique de la réflexion ne fut pas perdue.
Et à partir de 1970 elle s'enrichit d'une dimension écologique.
Il devint de plus en plus clair que nos sillons" n'avaient plus
besoin de s'abreuver du sang impur", puisqu'ils étaient
déjà saturés d'engrais chimiques, de pesticides,
d'herbicides, de métaux lourds, de retombées radioactives.
Et le Deutschland über alles" dut battre en retraite, puisque
les problèmes étaient devenus planétaires! Il fallait
sauver les mers, les océans, les forêts, les cours d'eau,
l'air, les forêts tropicales, le Capital génétique
(et cela continue à l'heure actuelle). Il fallait lutter contre
la menace de la surpopulation.
Par exemple le cloaque hyperpollué et nauséabond qu'était
devenu le Rhin était à la fois suisse, français,
allemand, néerlandais. Il ne suffisait plus que les officiels
nationaux se renvoient la balle des responsabilités; il fallait
que les riverains retroussent les manches et mettent en place des dispositions
pratiques. Les communes, les industries, les stations de pompage, les
pêcheurs, les agriculteurs, tous les interessés et utilisateurs
devaient se parler et chercher des solutions. Cela n'a jamais été
facile, car les interêts à court terme étaient souvent
divergents. Il fallut la catastrophe nommée TCHERNO-BÂLE,
où une usine chimique de Bâle (en Suisse) empoisonna tout
le fleuve, pour donner à tout le monde l'électrochoc nécessaire
à la prise de décisions draconiennes.
L'Alsace avait toujours une forte relation à la Nature. Mais
l'Alsacien est gentil" et correct" par essence. Il lui a fallu
apprendre à se hisser au niveau de la critique politique (pas
toujours negative), à hausser le ton, à prendre lui-même
son destin en main (il a tellement souvent changé de maître"!).
Des technocrates nationaux et bruxellois planifiaient d'industrialiser
à outrance le couloir rhénan, de Rotterdam à Bâle,
et de déplacer les zones d'habitation dans les montagnes (Vosges,
Forêt Noire). L'énergie, pour faire tourner ces usines,
devait être produite par d'immenses parcs des réacteurs
nucléaires. Avec ce que nous savions sur les méfaits de
la pollution chimique, de la pollution radioactive, c'était maintenant
qu'il fallait oser, qu'il fallait agir, qu'il fallait informer les populations
et s'opposer aux projets démoniaques et mégalomanes.
Comme le trait d'union de ces projets était le Rhin, ce fleuve
devint aussi occasion de nouvelles rencontres entre les populations
badoises, alsaciennes et suisses. On créa des comités,
des associations de défense. On informa; on occupa des terrains
de construction, nuit et jour; on mena des procès contre les
firmes, contre l'Etat; on vecut une coopération transfrontalière
réelle...; et tout le monde découvrit la communauté
d'intérêts des populations de la Région, mesurée
aux réalités écologiques, souvent culturelles,
parfois linguistiques et toujour humanitaires. Le mouvement écologique
ne veut pas abolir l'Etat, dissoudre les cultures, les pays dans un
magma informe, sans saveur, sans traditions, sans cohésion sociale.
Bien en contraire! Mais il a toujours plaidé pour une vision
d'ensemble des problèmes et des solutions à apporter.
Pour que les discours creux soient dépassés, pour que
les fleuves, les nappes phréatiques, les forêts, les sols,
l'air, la santé des gens soient sauvés, il faut que les
Etats abandonnent une bonne partie de leur rigidité et se soucient
sincèrement des conséquences de leurs actes sur les populations
et les pays voisins. La France, le pays où j'habite, à
bien des égards, a encore beaucoup de progrès à
réaliser.
A travers nos luttes, ceux qui en avaient encore besoin ont découvert
que les vraies frontières n'étaient pas celles que les
puissants avaient placées entre les populations de nos pays respectifs
mais celles qui existaient et existent encore, souvent invisibles, à
l'intérieur de chaque pays, entre les populations et les lobbies,
les groupes d'intérêts. Je me rappellerai toujours de ce
vigneron badois (donc allemand) après des mois d'action et d'occupation
communes de terrain - donc aussi des mois d'échanges et d'apprivoisement
avec une foule d'Alsaciennes et d'Alsaciens - , qui lança: J'ai
découvert que nous sommes des frères, que nous sommes
faits pour vivre ensemble, que les politiques et les grands meneurs
du passé nous ont menti. Quand je pense que nous avons tiré
les uns sur les autres par-dessus le Rhin! Quelle folie! Si nos grands
messieurs de Bonn et de Paris veulent remettre cela un jour, nous dirons
NON, nous ne marcherons pas, car nous avons vécu autre chose."
Puissent ces bonnes résolutions s'étendre au monde entier
(elle est tellement petite, notre planète!). Puisse la mémoire
ne pas être défaillante. Je vais maintenant essayer de
résumer 6 cas de lutte dont la Région du Rhin Supérieur
a été le théâtre. Je vous parle donc d'une
période qui s'étend, grosso modo, de 1970 à 1980,
avec un certain nombre de prolongements durant les années 80.
- En juillet 1970 est rendu publique la construction de 2 réacteurs
nucléaires à FESSENHEIM en Alsace. C'est le seul projet
du genre qui a pu être réalisé dans la Plaine
du Rhin Supérieur. Les réacteurs 3 et 4, prévus
également pour ce site, ont pu être évités.
La lutte contre 1 et 2 continue et se terminera par leur fermeture,
avec l'amorce de la sortie du nucléaire français.
- Au printemps 1971, le Gouvernement de Baden-Württemberg annonce
la construction de 4 réacteurs à BREISACH, sur le rive
droite du Rhin, en Pays de Bade. Une opposition grandissante et inattendue
de la population a raison du projet, en mai 1973.
- En été 1974, les CHEMISCHE WERKE MÜNCHEN, une
firme allemande, veulent implanter à MARCKOLSHEIM, du côté
alsacien, à 15 km en aval de BREISACH, une usine de stéarates
de plomb. Ce projet a été refusé auparavant par
trois autres communes allemandes et françaises. Une occupation
du terrain de construction, par la population, pendant 5 mois, met
fin au projet.
- Fin 1973, le projet nucléaire, avorté à BREISACH,
resurgit à WYHL (Pays de Bade), entre BREISACH et STRASBOURG.
Des manifestations, des conférences-débats, la confrontation
massive avec la police, l'occupation du terrain (plus de 1 an), des
procès - - - et une pression populaire inlassable arrivent
à faire plier la BADENWERK A.G. et le Land de Baden-Württemberg.
Pas de centrale nucléaire à WYHL!
- Dès 1966, MOTOR COLUMBUS A.G. veut installer une centrale
nucléaire à KAISERAUGST, en Suisse, à 19 km en
amont de BÂLE, sur le Rhin. Beaucoup de réunions, de
contre-réunions, de votes et de discussions, comme la tradition
et la Constitution suisses le permettent. Ce n'est qu'en 1970 que
les populations alsaciennes et badoises prennent connaissance du projet
nucléaire suisse. Le 24 mars 1975, début des travaux.
Le 1er avril 1974 blocage des travaux et occupation du terrain par
les populations et les comités, jusqu'au 19 mai 1975. Aujourd'hui
la centrale n'est toujours pas construite.
- A cette époque, il existe toute une liste de sites envisageables,
sur le Rhin Supérieur, pour des centrales nucléaires.
En décembre 1976, ÉLECTRICITÉ DE FRANCE (EDF)
fait dresser, sur un terrain de GERSTHEIM (Alsace), entre WYHL et
STRASBOURG, un mât météorologique, signe avant-coureur
de l'implantation d'une centrale nucléaire. En effet, chez
le Maire et son premier Adjoint se trouvent des plans avec 4 réacteurs
de 1300 Megawatts électriques chacun. Occupation du terrain
pendant 7 mois. Démontage du mât. Le projet nucléaire
est maintenant connu de tous. Les populations sont entraînées.
Le projet est refusé.
Ces six champs de lutte et d'engagement écologiques ont été,
comme dit plus haut, une école de vie, de civisme, de responsabilisation
individuelle et collective, de prise de conscience des valeurs de base,
de développement des capacités de chacun. La caste des
décideurs et de ceux qui disposent généralement
de la vie et du destin des gens a été confrontée
à des populations éveillées, inventives, pétillantes,
courageuses, profondément non-violentes et citoyennes. Les technocrates
et utopistes du développement à outrance ont dû
tenir compte du bon sens des populations honnêtes.
Ces actions ont été et à l'avenir continueront
à être transfrontalières, n'en déplaise aux
nationalistes et autres semeurs de haine et de division. L'amour et
le respect justifiés des éléments naturels (eau,
air, sols, espace - - - ), conditions nécessaires d'une existence
viable, incluent l'amour et le respect du voisin, le partage des sa
culture, l'apprentissage de sa langue. Nous avons répondu par
un grand éclat de rire au Préfet de la Région Alsace,
Monsieur Sicurani, qui voulait interdire aux Allemands de la rive droite
du Rhin de passer la frontière pour nous aider à lutter,
en Alsace, contre le projet allemand (!) d'une usine à plomb.
En un rien de temps , le pont sur le Rhin a été occupé
et bloqué par les Français et les Allemands, ne laissant
passer plus aucun trafic. Le Préfet dut faire marche-arrière,
pris au piège de sa propre injustice. L'argent et la pollution
ne conaissent pas de frontières. Pourquoi les populations se
laisseraient-elles séparer?!
A cette époque, le thème de l'écologie était
tout à fait nouveau, et nos rebellions contre des projets criminels,
mettant la santé publique en danger, ont été inattendues.
Ce sont les évènements relatés et nos actions qui
ont fait entrer la réflexion écologique dans la conscience
des gens. Pendant des années, toutes les idées et initiatives
venaient d'en bas. Aucun parti politique ne s'était penché
sérieusement sur la question - - - et encore moins engagé.
Les communistes, par exemple, orientés vers Pékin ou vers
Moscou, voulaient bien participer à la popularité de la
révolte, ici, à l'Ouest, mais étaient obligés
de se montrer favorables au nucléaire de leur patrie idéologique.
Dans l'ensemble, nos hommes politiques, du Maire jusqu'au Député,
ont été très peu au courant des questions écologiques.
Pendant longtemps cela ne payait pas; et puis pourquoi se mettre en
difficulté vis-à-vis des thèses officielles?! Les
politiques, s'ils ne sont pas poussés aux fesses par la base,
restent pour la plupart très classiques et carriéristes.
Des trois pays dont nous parlons, c'est la France qui a le plus à
lutter contre la politique du secret. Laisser discutailler" le
peuple, mais réaliser, coûte que coûte, ce que les
grands esprits de l'ÉCOLE NATIONALE DE L'ADMINISTRATION, de POLYTECHNIQUE
et du SERVICE DES MINES concoctent dans les coulisses. En matière
de nucléaire, par exemple, toutes les décisions se prennent
par décrets gouvernementaux et non par votes au Parlement. Ne
pense pas, accepte et tais-toi! Durant ces années de lutte, nous,
associations et populations badoises, suisses et alsaciennes, avons
pu apprendre une foule de choses.
Il a été de la plus haute importance que nous ayons réussi
à unir, dans les mêmes actions, Jeunes et Vieux, gens de
la ville et habitants des campagnes, intellectuels et manuels, scientifiques
et artistes - - -, car nos adversaires avaient intérêt
à diviser les populations, à créer des scissions,
afin de mieux régner et faire passer leurs projets. Cette confiance
réciproque a dû être construite avec doigté
et beaucoup de patience. Chacun a appris, chacun a dû s'ouvrir
et relativiser ses valeurs propres. Le soi-disant Communiste est devenu
moins diabolique (problème pour les Allemands); le paysan et
virgneron est devenu un peu étudiant; l'étudiant a goûté
le terroir, a appris à manier la fourche et la hache - - - et
à parler plus simplement.
Dans le cadre de l'affaire de Wyhl a été créée
l'Universitaire Populaire WYHLER WALD, qui animait culturellement d'abord
le terrain occupé, puis, pendant des années, les communes
des alentours. Richesse des thèmes abordés, diversité
des intervenants, non seulement Allemands et Francais, mais également
des scientifiques américains, des Indiens d'Amérique,
des moines bouddhistes, des médecins de l'Iran, des écologistes
du Brésil. Une fraternité pragmatique et fertile.
A l'opposé du SERMENT DE STRASBOURG, signé en 842, et
dont je vous ai parlé au début, dans le cadre de la lutte
de Gerstheim, 60 communes ont souscrit, devant les médias français
et allemands, un pacte d'entraide et d'assistance mutuelles pour mettre
en échec le projet nucléaire. Contrairement à Charles
le Chauve et Louis le Germanique, nous n'avions pas d'arrière-pensées
inavouables; nous agissions dans l'intérêt des habitants
de cette Région et de leurs descendants. Ce fut le SERMENT POPULAIRE
DER GERSTHEIM. Nous avons aussi appris que la réussite appelle
d'autres réussites. Car beaucoup de gens ne vous rejoignent que
s'ils voient qu'on peut être gagnant.
Par ailleurs, la lutte de Fessenheim, toujours en cours, nous a clairement
montré que, pour avoir des chances de gagner, if faut avoir une
partie, au moins, des habitants de la commune concernée avec
soi. Il ne suffit pas de manifester par milliers de personnes venant
de l'extérieur. C'est la raison pour laquelle les industriels
cherchent à acheter les gens de la commune d'implantation. Ceci
devrait aussi être vrai chez nous. Il ne suffit pas non plus de
tourner en vase clos, entre écologistes. Il faut réveiller
et intéresser toutes les composantes d'une population, sinon
on est marginalisé. Des milliers de personnes de notre région
ont pu toucher du doigt que les technocrates et des spécialistes"
sont prêts à répandre des mensonges et des demi-vérités,
par discipline professionelle, par appât du gain, par simple appartenance
à une caste. Ces personnes du peuple ne s'en laissent plus conter;
elles n'ont plus de sentiment d'infériorité; elles savent
maintenant parler en public et démasquer les vendus".
Est-il besoin de le dire? Il n'y avait rien à gagner financièrement
à travers nos actions de longue haleine. Au contraire, énormément
de gens y ont mis de l'argent de leur poche, selon leurs moyens. Comme
la naissance, la mort, l'amour, la joie, le lever du soleil, le paysage
agréable... notre démarche était et reste gratuite.
Mais il est normal que de plus en plus de personnens gagnent, à
l'avenir, leur vie en fabriquant des capteurs solaires, des éoliennes,
des installations photovoltaiques, des installations de cogénération,
des isolants, etc.... Car nous ne voulons pas uniquement savoir dire
NON. Notre rôle est aussi de proposer autre chose à la
place. Ainsi, par exemple, des turbines à gaz remplaceraient
avantageusement les réacteurs de Tchernobyl, même si FRAMATÔME,
SIEMENS, ELECTRICITÉ DE FRANCE veulent absolument vous rendre
de nouveaux réacteurs nucléaires. Ne soyez pas dupes:
TOUT CE QUI BRILLE A L'OUEST N'EST PAS OR! Si l'on attend d'être
payé pour sauver la branche sur laquelle on est assis, cela ira
très mal.
Ah, j'allais oublier! Un jour, un professeur d'histoire et homme politique
d'Alsace a publié un article de journal, où il disait
que nous, les antinucléaires, étions payés par
le KGB. Nous lui avons intenté un procès en diffamation...
et avons gagné.
Un des principes de nos luttes a toujours été la non-violence.
Pourquoi? D'abord parce que nos adversaires ont plus de moyens pour
être vraiment violents. Ils envoient d'autres pour exécuter
la sale besogne. Ensuite parce que nous pensons que la violence ne transforme
pas les humains. Si nous sommes violents, nous fournissons à
l'adversaire toutes les justifications pour l'être encore plus
que nous. Par contre, si nous choisissons l'autre voie, nous lui offrons
l'occasion de réfléchir et de se transformer ou, s'il
persiste, de révéler publiquement son vrai visage d'injustice
et de perdre peu à peu la sympathie des gens. Le Ministre-Président
de Baden-Württemberg, Hans Filbinger, à travers l'affaire
de Wyhl, en a fait l'expérience. Ses mensonges et sa violence
policière lui ont brisé la nuque. Il n'a pas voulu se
transformer. La démarche non-violente exclut cependant la naïveté
et la mollesse; au contraire, elle fait appel à la finesse d'analyse,
à la créativité , à la mobilité,
à la psychologie, au courage lucide, à l'esprit de solidarité.
Il n'est pas interdit d'exploiter la force de l'adversaire pour éventuellement
arriver à la neutraliser. La recherche du dialogue est toujours
conseillée. On a intérêt à ménager
une porte de sortie à l'adversaire. Notre but n'a pas à
être la haine mais la vérité et la justice. La juste
colère a sa place dans un tel processus, car la seule froide
raison ne peut pas faire franchir à tout le monde le fossé
qui existe entre la pensée et l'acte. Mais cette colère
doit rester maîtresse d'elle-même et ne jamais oublier le
but ultime. On peut dire également que plus le nombre de participants
actifs est grand, moins il est aisé pour l'adversaire de passer
outre au mouvement. Enfin, la pratique a révélé
qu'il vaut toujours mieux avancer sur deux ou plusieurs voies (information,
dialogue, actions directes, occupation, procès, participation
à des élections, etc. ...) que sur une seule, car l'adversaire
cherchera toujours à nous contrer ou à nous contourner.
Je m'arrête là. Et pourtant le vécu a été
à la fois bien plus astreignant et bien plus riche que ce que
j'ai pu essayer de vous faire entrevoir à travers mon exposé.
Je vous remercie de votre attention.
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12
1998
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